« J’ai déposé mes fagots dans un poème » : dans ce recueil, Stève Wilifrid Mounguengui arpente « l’autre rive de la mélancolie » au lieu de chercher un remède à celle-ci ; il entend « puiser en elle la lumière qui éclaire le poème », afin de transformer ce sentiment puissant en moteur de vie et, bien sûr, d’écriture. Mais comment faire ? « Je ne te quitte pas. Je t’emmène avec moi. Que deviendrais-tu sans moi ? » : poète et mélancolie restent en permanence intimement liés. C’est ainsi que naissent les strophes, lesquelles proposent des réflexions introspectives et l’histoire d’un parcours d’existence, depuis la ville de Mouila, au Gabon, jusqu’au pays de Caux, en Normandie, en passant en particulier par Paris. « Avec [ses] racines ailleurs et [ses] feuillages ici », le poète regarde en arrière, convoquant un « tu » poétique multiple. Au fil des textes, ce « tu » polymorphe incarnera un frère humain, une mère, la mélancolie elle-même — on l’a vu —, un amour… et très certainement (peut-être même toujours) lecteurs et lectrices.
La prose poétique fuse sous des articles qui parfois disparaissent, de temps en temps le poète se fait conteur, les vers libres distillent des images volontiers optimistes : « Puisque la nuit se rassemble / Il nous appartient de scintiller ». Non, la mélancolie n’est pas ici prétexte à la morosité. Elle irrigue les mots tout en leur conférant une noblesse, elle règne en fil rouge au sein d’un livre où le cœur bat la chamade. Dans une véritable comigration avec l’auteur, la langue élégante conduit d’Afrique en Europe. Elle plaque sur les souvenirs des refrains qui restent en tête, tel ce verbe « égrainer » qui, au fil des pages, se fait leitmotiv sous la plume de Stève Wilifrid Mounguengui : « Égrainer / ses rêves / le long des nuits froides », c’est partir à l’assaut de ses désirs d’avenir comme de ses émois passés. L’enfance, ce « monde de rien », ce « temps où l’on ne sait ni dire ni décrire » — remarquons le parallèle de toute évidence voulu avec ni lire ni écrire — n’est pas glorifiée. Tout au plus fait-elle l’objet de descriptions qui n’empêchent pas l’adulte d’aller de l’avant, quand bien même les images du passé reviendraient le hanter, à Paris ou dans le Cotentin : « Quand tu arrives là, en ce lieu de ta vie, reviennent des rivières que tu pensais éteintes. Durembu, Dusame, Durugni. Chaque enfance a sa rivière, elle traverse la ville, parfois longe ses abords et s’en va. » La mélancolie n’est pas un spectre, elle est bien lumière : « une luciole suffit à incendier la nuit ». Pour accompagner les mots, les œuvres picturales de Prajna Yun, évasifs assemblages de couleurs diluées, laissent deviner tout autant qu’elles intriguent.
« Je voudrais, pour finir, un poème qui soit une prière aux lieux, une chanson, un cantique. Il me semble avoir habitué les hauts lieux. » Stève Wilifrid Mounguengui, en se coltinant à la mélancolie et en retraçant son parcours tant géographique que mental, fait œuvre de mémoire. La sienne, qui devient un peu la nôtre, dans des épisodes éternellement à suivre. Car, vraiment, « rien n’achèvera le poème ».
Stève Wilifrid Mounguengui, Cahiers d’adieu à la mélancolie, avec des œuvres picturales de Prajna Yun, La Kainfristanaise, ISBN 978-2-900614-15-0

Un extrait
Florent Toniello, né en 1972 à Lyon, est le responsable de ce site, membre du comité de D’Ailleurs poésie. Il commence une première vie dans l’informatique au sein d’une société transnationale, à Bruxelles et ailleurs. En 2012, il s’installe dans la capitale grand-ducale ; sa deuxième vie l’y fait correcteur, journaliste culturel et poète. S’ensuivent neuf recueils de poésie publiés au Luxembourg, en Belgique et en France, une pièce de théâtre jouée au Théâtre ouvert Luxembourg, ainsi qu’un roman et un recueil de nouvelles de science-fiction. Pour l’instant, il n’est pas question d’une troisième vie. Son site : accrocstich.es.
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