Dans ce recueil se croisent effectivement cantique et méridiens. Méridiens géographiques d’abord, puisque Maya Ombasic, autrice née à Mostar, passée par Genève et installée à Montréal, propose des poèmes qui prennent leurs racines dans les diverses étapes de son parcours, lequel l’a menée aussi à Cuba : « Sur l’île en forme / D’un immense gecko / Languissant hors temps / Sur le méridien de la lenteur ». À Genève, où trônent « Indifférents le lac et sa surface », « Personne n’ose regarder / En direction de la montagne / Parce que le froid / Ça rappelle la température / De l’exil ». C’est que les vers de la poétesse contiennent dans leur structure d’abord narrative, qui use avec parcimonie des métaphores et autres figures de style, toute la nostalgie et tout le déchirement de la migration : « Plus personne ne sait comment / Tisser les liens avec le passé / Sur les routes sinueuses et étroites / De la vieille Europe ». Les destinations lointaines sont-elles une solution ? Pas sûr : « Doha / C’est l’artificiel au fond / D’une tempête de sable. » Et se fixer ne résout pas tout, « Parce que Montréal / C’est un mirage / Qui n’existe pas ». Toutefois, c’est avec tendresse et empathie que Maya Ombasic dépeint les villes qu’elle arpente, brossant au passage des portraits émouvants, tel celui de cet homme cubain en Floride : « Ses vêtements séchés / Au soleil du vivre ensemble / S’imprègnent peu à peu / Des miettes du capitalisme ».

Mais les méridiens, ce sont aussi ceux du cœur. On ne peut s’empêcher, à la lecture, de penser au Cantique des cantiques, très certainement évoqué dans le titre du recueil. En effet, aux poèmes géographiques se mêlent, dans un tissage intime élaboré, des poèmes d’amour adressés à un « tu » peut-être multiple, peut-être rêvé, mais bien ancré dans les sentiments : « Et pourtant tout toi / S’accroche à ma peau / Comme le réfugié qui cherche / L’autre rive de la Méditerranée ». Amour et exil, même combat parfois mortel ? « Je veux juste me blottir / Contre ton corps / Pour pouvoir survivre / Aux siècles de solitude / Qui m’attendent sans toi » : en tout cas, la sensualité s’exprime ici tant sur les corps que sous le soleil du Sud, tant dans l’exploration de l’autre que dans celle de pays exotiques. Et l’entrelacs des méridiens, couplé à la mélodie douce-amère que content les histoires d’exil, installe une atmosphère où l’on se sent bien dans le quotidien, tout en n’oubliant pas le passé, sans le sacraliser, et en regardant clairement vers l’avenir : « Mañana est un autre jour ».

Maya Ombasic, Cantique des méridiens, éditions La Passe du vent (maintenant chez La Rumeur libre), ISBN 978-2-84562-302-6

Volupté

par Maya Ombasic (lue par Florent Toniello) | Cantique des méridiens

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Florent Toniello, né en 1972 à Lyon, est le responsable de ce site, membre du comité de D’Ailleurs poésie. Il commence une première vie dans l’informatique au sein d’une société transnationale, à Bruxelles et ailleurs. En 2012, il s’installe dans la capitale grand-ducale ; sa deuxième vie l’y fait correcteur, journaliste culturel et poète. S’ensuivent neuf recueils de poésie publiés au Luxembourg, en Belgique et en France, une pièce de théâtre jouée au Théâtre ouvert Luxembourg, ainsi qu’un roman et un recueil de nouvelles de science-fiction. Pour l’instant, il n’est pas question d’une troisième vie. Son site : accrocstich.es.