C’est souvent grâce aux microéditeurs que la poésie vit et évolue. Un écosystème de personnes passionnées qui décident de publier, sur du bon vieux papier, des poèmes qui correspondent à leur sensibilité, dans un petit tirage qui rendra d’autant plus enthousiastes lecteurs et lectrices desdits poèmes, qui se sentiront dans un club restreint. Luar éditions participe de ce mouvement de microédition si riche. Les frères Marco et Fábio Godinho, nés au Portugal et actifs (parfois même hyperactifs !) au Luxembourg, ont fondé la maison récemment, avec Keong-a Song, et apportent un soin tout particulier aux livres, composés et imprimés avec maîtrise pour en faire de beaux objets. Si le livre évoqué ci-dessous est né de leur plume commune, Luar éditions a déjà publié d’autres personnes que ses créateurs et ne se concentre pas uniquement sur la poésie ; une maison d’édition à part entière donc.

Côté contenu, dans la collection poésie de Luar, les deux frères ont, après un projet artistique conçu en 2021 pour le WaterWalls Festival d’Esch-sur-Sûre, rassemblé certains textes dans le premier volume qu’ils ont fait paraître sous leur nouvelle bannière. Offrir quelques mots à la rive se présente ainsi comme un recueil où les témoignages des habitantes et habitants de l’endroit s’invitent, tout comme les sensations que l’humain peut éprouver face à la nature et aux éléments — qu’ils soient ou pas domptés, puisque Esch-sur-Sûre est la localité où se dresse le plus important barrage du grand-duché. Il se dégage de l’ouvrage une alchimie fraternelle et néanmoins mystérieuse : « Je n’ai pas bien compris comment cela fonctionne, / comment cela peut arriver. Mais on est là, / ensemble, tout autour en quête d’histoires, / de choses qui sont écrites nulle part ou au contraire sont / gravées partout, dans la moindre veine, / fissure, goutte d’eau et de terre. »

La langue fait-elle partie de notre rapport à la nature ? Pour Fábio et Marco Godinho, qui choisissent de s’exprimer en français alors que ce n’est pas leur langue maternelle et seulement une parmi les langues véhiculaires au Luxembourg, la réponse est clairement oui : « Au début nous avons découvert / une nouvelle langue, / singulière par le territoire qui l’a créée, / singulière par le souffle de la marche, / singulière par son environnement qui lui appartient ». Du tac au tac, lorsque l’un énonce, l’autre réplique pour éviter toute confusion : « Pays lointain, reviens, ne pars pas à nouveau / Une langue n’est pas un pays ». Plus tard, de fait, les poètes — car faut-il vraiment les séparer, même si l’initiale du prénom figure au bas des pages ? — se diront « Partout / Apatride / Partout / Apatride ».

Dans ce singulier duo où « Les mots en partage / sont la cascade », on s’installe aussi pour « Sentir le temps », titre d’une des douze courtes parties. « Je mesure le temps de l’entre-deux », peut-on même lire. Alors, les barrages « qui éclatent en morceaux / pour laisser passer les pensées flottantes » stimulent le vagabondage des idées, qui se traduit sur le beau papier épais par le vagabondage des vers, avec ses évocations de l’amitié, de l’amour, de l’« attente du changement des saisons ». Une balade le long de la rive en forme de ballade, où « La lune observe en permanence, / elle guette chaque mouvement ». Luar, en portugais, c’est le clair de lune ; Luar éditions trouve donc là sa justification poétique, et la boucle est bouclée.

Fábio et Marco Godinho, Offrir quelques mots à la rive, Luar éditions, ISBN 978-99987-920-1-2

En attente

par Fábio et Marco Godinho (lus par Florent Toniello) | Offrir quelques mots à la rive

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

quatre + 7 =

Florent Toniello, né en 1972 à Lyon, est le responsable de ce site, membre du comité de D’Ailleurs poésie. Il commence une première vie dans l’informatique au sein d’une société transnationale, à Bruxelles et ailleurs. En 2012, il s’installe dans la capitale grand-ducale ; sa deuxième vie l’y fait correcteur, journaliste culturel et poète. S’ensuivent neuf recueils de poésie publiés au Luxembourg, en Belgique et en France, une pièce de théâtre jouée au Théâtre ouvert Luxembourg, ainsi qu’un roman et un recueil de nouvelles de science-fiction. Pour l’instant, il n’est pas question d’une troisième vie. Son site : accrocstich.es.