En ouvrant le livre, on croit au premier regard avoir affaire à de la poésie. Pourtant, l’éditeur sur son site est tout à fait honnête, puisqu’il indique que Le Bonnet rouge est écrit en « prose coupée », au moyen de sources historiques et de documentation familiale de l’auteur. Est-ce à dire qu’il ne comporte pas de poésie ? Certes non ! La prose coupée peut se montrer parfaitement prosaïque, comme dans le décevant Charlotte de David Foenkinos, ou éminemment poétique, comme chez Antoine Wauters avec le stimulant Mahmoud ou la montée des eaux. Mais n’anticipons pas.

Que raconte ce livre ? L’histoire d’une poignée de soldats suisses qui s’engagent dans un régiment au service du roi de France ; ils vont ainsi se retrouver dans le maelström de la Révolution française, après les révolutions de Genève, où le peuple souhaitait faire plier le pouvoir des patriciens. Enrôlés pour protéger la noblesse française (quel retour de bâton…), certains vont se rebeller et, après une répression sanglante, prendre le chemin du bagne, durant lequel leur sera remis le fameux bonnet rouge qui représentera le symbole de la liberté. Puis défileront dans les rues de Paris à leur libération par l’Assemblée nationale. Daniel de Roulet s’attache à mettre en lumière le parcours des sans-grade qui subissent la supposée « grande histoire », y trouvent souffrance et déchirement, parfois satisfaction, et surtout ne se voient pas ériger des statues alors que des officiers ou des nobles aux comportements parfois douteux trônent en bronze sur des places célèbres. Il raconte aussi une composante suisse non négligeable dans la Révolution française, tout en expliquant l’origine pas si simple et glamour de ce symbole connu de toutes et tous que constitue le bonnet rouge.

Prose coupée donc. Mais le texte est loin d’être une froide accumulation de péripéties historiques, comme le serait un manuel ou un pensum. Il contient d’abord une véritable poésie dans les destins de ses personnages principaux, et notamment celui de Samuel Bouchaye, apprenti révolutionnaire genevois qui va servir un temps la royauté en France, après des amours courtes, mais intenses, avec Virginie, dite Perchette, sur les bords du Léman. Un lac qui procure aussi beaucoup de poésie au recueil (et voilà, c’est devenu un recueil !), revenant régulièrement tel un souvenir du bonheur parfait et inatteignable. Les nombreux vents qui le parcourent, la terrible bise par exemple, murmurent dans le livre : « À Meillerie, on attend le rebat / une brise d’été sur le haut lac. / Sur le petit lac, elle s’appelle séchard. / Le rebat souffle pendant les journées légères, / dérobant le parfum des foins coupés. / Il secoue la paresse du soleil / et sème sur l’étendue les cloches du dimanche. / De nuit, à l’extrémité est du Léman, / la marinée vient du couloir de Marin. »

Les retours à la ligne provoquent des phrases plus courtes, des rythmes plus haletants qui collent aux scènes d’action et qui pimentent les tableaux plus contemplatifs. Alors, vraiment, prose coupée ou poésie, peu importe : Le Bonnet rouge plonge dans la petite histoire pour éclairer la grande avec un style adapté et un amour de ces petites gens qui travaillent plutôt qu’elles ne dirigent. Rien que pour ça, c’est une lecture essentielle : « Les puissants vous accablent / de leur succès. / À leurs esclaves, / aux moins fortunés, / seule la littérature / rend la parole. »

Daniel de Roulet, Le Bonnet rouge, éditions Héros-Limite, ISBN 978-2-88955-080-7

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

douze + 8 =

Florent Toniello

Florent Toniello, né en 1972 à Lyon, est le responsable de ce site, membre du comité de D’Ailleurs poésie. Il commence une première vie dans l’informatique au sein d’une société transnationale, à Bruxelles et ailleurs. En 2012, il s’installe dans la capitale grand-ducale ; sa deuxième vie l’y fait correcteur, journaliste culturel et poète. S’ensuivent huit recueils de poésie publiés au Luxembourg, en Belgique et en France, une pièce de théâtre jouée au Théâtre ouvert Luxembourg, ainsi qu’un roman et un recueil de nouvelles de science-fiction. Pour l’instant, il n’est pas question d’une troisième vie. Son site : accrocstich.es.