Sur la pointe des mots tu ne risques rien
les tiens sont de hauteur modeste
tertre sans élévation, tu ne tomberais pas
de bien haut
ne rêve plus de mots escarpés
de grammaire abrupte
la chute n’est qu’un exil bref loin du lierre
une halte
un oubli de ton corps vertical
une prise de vol, une prise d’air
les escadrons d’oiseaux sont loin
depuis longtemps
les oies sauvages survolent d’autres terres
et toi
tu ne sais rien de la mer.
*
Chaque jour s’exercer à vieillir
descendre à petit pas la pente
qui se raidit sous tes pieds
chaque année réapprendre
les oiseaux
réapprendre leur chant, leur vol
leur nom, le comment des ailes
Chaque matin redécouvrir la terre
apprivoiser, comme à tes premiers pas
le sol, l’équilibre
et personne pour guider ta marche d’enfant
oh ! quand tu étais libre de lâcher les mains
de courir dans l’herbe — de vivre comme
on vole.
*
J’ai souvenir d’intervalle parfait
bougies rallumées sans fin dans un désir
suave de lumière — j’aimais bien l’odeur
de sapin brûlé, le crépitement des aiguilles
la huitaine à notes fruitées
j’aimais l’indolence
l’imparfait prend tout son sens aujourd’hui
avec son goût de fumée froide, son gris de cendre
l’octave manque d’éclat
j’ai pourtant souvenir d’intervalle parfait
de pelures d’oranges parfumées au gingembre
j’aimais.
Photo : Claire Krähenbühl
Née à Yverdon-les-Bains (Suisse), Claire Krähenbühl vit au pied du Jura vaudois. Elle a publié de nombreux recueils (poésie, nouvelles et récits) chez divers éditeurs. Pendant une vingtaine d’années, elle est coéditrice des éditions Samizdat à Genève avec sa jumelle Denise Mützenberg. En 2018, les deux sœurs ont créé une petite « cabane d’éditions », Les Troglodytes.





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