Il y a tant de bleu dans ce recueil que sa couverture rouge ressemble presque à une provocation. Pas étonnant, d’ailleurs : « Moi – Gamine Aux Mains Bleues / Je jure / De toujours parjurer. » (Nous respecterons dans cette chronique le choix, sans nul doute signifiant, des capitales multiples pour lesdites gamines.) Héloïse Thual, autrice française installée au Royaume-Uni, joue avec les images et les attentes, comme ces gamines qu’elle décrit dans une première partie éponyme. Qui sont du reste ces « Alchimistes de l’asphalte », qui « Montent des cabales / En mastiquant des bonbecs » ? Parions sur des réminiscences de l’enfance conjuguées à des fantasmes d’adulte : « Gamines Aux Mains Bleues / se voient déjà talons rouges / Crépitant tic-tac-tic-tac / Sur le carrelage blanc des boucheries. » La poétesse, d’ailleurs, nous éclaire sur la composition du bleu qu’elle évoque, dans un premier texte fournissant même des pourcentages précis entre « bleu basalte », « bleu bagarreur » ou « bleu benzoate ». Au moyen d’une langue narrative imagée, économe en verbes, elle décrit les « paumes pulsatiles », les « paumes prophètes » de ses petites héroïnes espiègles et pourtant cabossées : « Souvenirs des sororités massacrées / Pour pérenniser notre suprématie / Sororité Gamine / À la cruauté forgée cour d’école / Sororité Bleue / À l’ego impérial couleur primaire. » Les vers plongent dans l’enfance qui grandit, jusqu’à « Remonter le fil / Au point d’origine / À la gamine / Au bleu / 0 ».
« Exosquelettes d’instants dansent / Et se mêlent en meutes minuscules / Meutes friables / Meutes fuyantes » : dans une deuxième partie, « Mémoires Insectoïdes », l’autobiographie, l’autofiction se conjuguent à un bestiaire à six pattes. L’occasion de fournir dans « Puce » un poème narratif aux amples strophes qui convoque le souvenir (ou le rêve ?) d’une médication forcée, d’une « retenue chimiquement imposée » pour « tendances vampirisantes présentes depuis [la] tendre enfance ». La Gamine Aux Mains Bleues a grandi et, avec les « Furies Fourmis », « réduit mégapoles / Et systèmes séculaires / Cendres sémantiques / Poussières d’empires patriarcaux ». Voilà de la pugnacité, mais pas écrite sur un ton slam simple et direct ; ici, la langue est travaillée au corps, les tropes offrent la subtilité à un message qui pourtant reste clair et vif. En fleurs, les jeunes filles ? Que non, dans « Luxure luciole » : « Jeunes filles en feu / Bioluminescence barbare / De sang de féminin / De phéromones parjures / Gamines fausses fleurs / Pyromanes en puissance. »
Les revoilà donc, ces gamines qui constituent le fil bleu du recueil, qui ont irrigué celui-ci de leur sanguine propension à refuser l’injustice et à se rebeller, mandibules ou élytres exposées à ce soleil des hommes dont elles comptent bien s’offrir un maximum de rayons. De ce premier recueil concis, coloré et palpitant, on pourrait extraire en guise de conclusion ce souhait : « Bleu reviens-y. »
Héloïse Thual, Gamines Aux Mains Bleues & Mémoires Insectoïdes, éditions du Bunker, ISBN 978-2-487510-03-6

Religieuses
Florent Toniello, né en 1972 à Lyon, est le responsable de ce site, membre du comité de D’Ailleurs poésie. Il commence une première vie dans l’informatique au sein d’une société transnationale, à Bruxelles et ailleurs. En 2012, il s’installe dans la capitale grand-ducale ; sa deuxième vie l’y fait correcteur, journaliste culturel et poète. S’ensuivent neuf recueils de poésie publiés au Luxembourg, en Belgique et en France, une pièce de théâtre jouée au Théâtre ouvert Luxembourg, ainsi qu’un roman et un recueil de nouvelles de science-fiction. Pour l’instant, il n’est pas question d’une troisième vie. Son site : accrocstich.es.
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