Cher Voyageur,

Avec toi, je reçois la nuit, celle qui hante, pétrole lampant, les végétaux. L’ombreuse suie noire.

Je reçois l’odeur ample, multiple, couveuse d’hommes.

Je reçois la pluie, sueurs de ciel, et le bruit aussi, comme perché d’oiseaux criards et de sifflements de serpents.

Je tâte dans tes mots, le rêve et la foison de magies. Et puis cette crainte épaisse de ne rien reconnaître, tout est inconnu. Tu es le passeur de sorcelleries, le jardinier d’un paradis habité de dieux et de mygales, de grelots et de fièvres, d’une touffeur impénétrable

Avec toi, j’entre dans la jungle endormie, tu lèves mon briquet comme un feu voyeur. Je vois s’agiter les ombres, les silhouettes et même ces morts revenus tressaillir dans tes mots.

Tu explores les vides grouillants des chevelures des arbres. Tu m’entraînes aussi à ras du sol, parmi des eaux salées et sales, je redeviens le croyant des esprits, l’enfant des frissons de forêts, l’esclave au boulet, la femme des calebasses osseuses. Tu m’emmènes dans l’écorce des paysages, nue, primitive, primordiale, à la table du temps suspendu, éternel.

J’entre dans les macérations de couleurs d’un poème premier. J’écoute. Ta voix me raconte ce soleil sombre des zones humides, les routes rouges, le temple des termites, l’histoire du craquement. Et en moi, il se prolonge à me couper le souffle.

Tu es dans le corps de cette Terre, un corbeau blanc qui danse.

Tes villes, les rues, les bars là-bas sont parcourus d’ampoules électriques, des lucioles dans la touffeur humaine. Tu écris, ce n’est pas que tu veux m’expliquer. Oh ! non ! Tu écris comme l’homme qui est au bout du monde et qui refuse d’être seul à y voir l’irréelle image. Ton Journal de la brousse endormie rend compte de cette beauté, crois-moi. C’est l’enchantement.

En route,

Anna

Journal de la brousse endormie, Serge Marcel Roche, éditions La Rumeur libre, 2023