Aujourd’hui, mon attention se porte sur un poème saisissant : « Self-Portrait with Fire Ants », de Pascale Petit.

Nul besoin de présenter longuement la poète, tant son œuvre est reconnue non seulement au Royaume-Uni, où elle réside, mais aussi bien au-delà des frontières. Rappelons simplement que Pascale Petit est d’origines française, galloise et indienne et qu’elle vit en Cornouailles. Lauréate du Prize for Poetry en 2020 (entre autres distinctions), elle a vu quatre de ses neuf recueils également sélectionnés pour le T. S. Eliot Prize.

« Self-Portrait with Fire Ants », extrait de The Zoo Father (Seren, 2001), est un texte bouleversant sur la rencontre d’une fille avec son père ; elle, attendant une explication : pourquoi l’a-t-il abandonnée quand elle avait huit ans ?

Elle s’imagine portant un masque de fourmis de feu, des milliers d’insectes qui recouvrent et pénètrent son corps. Ce masque devient le symbole à la fois de la souffrance et du secret enfoui.

Le père, quant à lui, apparaît sous la forme d’un étrange grand fourmilier. Le poème mêle mémoire ineffable, douleur viscérale et épidermique, violence (celle du rouge des fourmis) et culpabilité.

To visit you, Father, I wear a mask of fire ants.
When I sit waiting for you to explain
why you abandoned me when I was eight
they file in, their red bodies
massing around my eyes, stinging my pupils white
until I’m blind. Then they attack my mouth.
 
Pour te rendre visite, Père, je porte un masque de fourmis de feu.
Quand je m’assois et que j’attends que tu m’expliques
pourquoi tu m’as abandonnée quand j’avais huit ans,
elles forment une file, leurs corps rouges
s’amassant autour de mes yeux, piquant mes pupilles blanches
jusqu’à l’aveuglement. Puis elles attaquent ma bouche.

Comment ne pas tressaillir à la lecture de ce texte dont le dernier vers exprime, avec une justesse implacable, le sentiment de dépossession lié à l’abandon :

I don’t remember what you did to me, but the ants do.
 
Je ne me souviens pas de ce que tu m’as fait, mais les fourmis, elles, s’en souviennent.

Photo : Ave Maria Mõistlik, CC BY 3.0

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Valérie Harkness est la fondatrice du site D’Ailleurs poésie. Pédagogue, traductrice, tisseuse de liens multiples entre les cultures, notamment britannique et française, elle a porté sa passion de la langue dans de nombreux recueils parus entre autres aux éditions Rhubarbe, Jacques André, du Petit Véhicule ou Henry.