Règne animal

Une soirée d’août dans le quartier Arturo Soria
On est venus à pied
Au restaurant thaï qui s’appelle
« Thai Arturo Soria »

Sur le trottoir c’est encore l’été
L’avenue Arturo Soria est bordée de très hauts arbres
Peupliers noirs et platanes d’Orient

Dans ces arbres on distingue des nids grands comme
Les ballots qui courbent le dos des porteurs

Il paraît qu’ils peuvent peser cinquante kilos

Allant et venant autour de leurs logis gigantesques
Des perruches vertes venues d’Argentine
Se retrouvent pour partager la yerba mate
Et tapager sur deux notes les potins du quartier

Nuisance sonore pour les riverains
Espèce invasive pour la mairie
Brin d’exotisme pour les clients du « Thai Arturo Soria »

*

Blanc

Un pétale fané
Blanc
Attend devant la porte
Blanche (sale) du micro-ondes
Qui indique une heure erronée
L’heure qu’il est dans son monde de micro-ondes vieux blanc sale
Qui accouche de pétales mort-nés
Blancs immaculés

Le pétale
Miracle s’il en est dans un appartement formica
est jeté machinalement

            Quel est ce monde
            Où l’on jette aussi machinalement
            Inconséquemment
            Inconsidérément

            Les rêves racornis
            Les amours flétries
            La beauté en fin de vie ?

*

Le train de Madrid à Cádiz met 4 h 42

Je voudrais que le trajet dure encore plus longtemps

J’écouterai des tubes de rock du siècle dernier
Regarderai le bébé ça me rappellera les miens, ceux d’antan
Avant qu’ils ne deviennent de grands machins lunatiques
Les muraux de Jerez de la Frontera
Pas d’Allemand avec un coffre et des bijoux
Pas de pistolet
Mais une fille laide qui devient belle en quelques coups de pinceau
Le froid trop froid de la clim
Le son trop fort des annonces
Le goût divin de mon sandwich
Un château sur une colline
Comme seuls ils savent les faire en Espagne
Un petit sommeil
Le rire du bébé
Le son trop fort des annonces qu’on ne comprend même pas
Ma playlist sur Spotify
Je voudrais que le train continue
Après Cadiz
Il pourrait passer sous la mer
Et traverser le continent africain
Sans s’arrêter
Je verrai défiler les paysages
Des déserts des lacs et des savanes
Des gens peut-être
Et puis après Cape Town
Encore continuer
Passer par les abysses de bonne espérance
Aller saluer les manchots
Et repartir dans l’autre sens
À Cádiz c’est bien ; ou même ailleurs
À Kharbine ou sur l’île de Skye

 

Au restaurant « Thai Arturo Soria ». Photo : Marianne Duriez

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Marianne Duriez a une âme de nomade et la littérature au cœur. Elle appartient au cercle littéraire des Têtes brûlées, groupe d’amis et artistes libertaires. Après plusieurs années en Amérique du Sud et en Afrique centrale, elle vit actuellement à Madrid. Ses textes sont publiés dans diverses revues de poésie et son premier recueil, Sur mon chemin, le fleuve, a paru dans la collection Polder en mai 2024.