I

J’ai l’obéissance chevillée au corps
c’est mon tribut à ces rivages de sable
refaits d’étiage en étiage par les érosions
du trait de côtes qui toujours s’éloigne
qui toujours vient ébruiter ces rayons
de soleil qui m’aveuglent

J’ai renoncé à y tremper ma chair
de petit garçon insolé

Mes yeux ont été brûlés par ce point là-bas
qui fait battre les ailes des guêpiers écarlates

Le crépuscule est en technicolor

Il n’y a plus d’arbres sinon au loin
où des fragments de bleus étirent l’infini

Dans les eaux vertes du Chari
je plonge d’une tête fière

 

II

Au-delà de la falaise une éclaircie s’abreuve
à l’herbe molienne qui bouquet après bouquet
alimente de ses filaments d’or vert
un désert peuplé de déités

Et c’est toujours non pas l’horizon bleui
en sa teneur insulaire sa correction consulaire
mais d’autres îles de sable d’autres enclaves d’eau
et de patience que fédèrent les saules devenus
gris et fauves pour s’accorder à l’air qui les déshydrate

l’air qui fendille les bouches les lèvres
l’air si épris de crevasses

car il est février il est mars et avril
et les vétivers sont devenus blonds eux aussi

et si je n’étais pas si noir dans ce paysage
j’allègerais la pesanteur sans le moindre cri

 

III

L’herbe n’est plus que paille
& crises d’asthme

Le vent lui a ôté la vie

Si l’espoir s’accroche à son lit
c’est le fleuve qui le formule
lui si maigre en son cours

Il est des soifs plus brûlantes
que des alcools de survie

Il est des élans plus tendus
que la plus furieuse folie

Les falaises sans crier gare
dessinent leurs contours

 

IV

J’inspecte d’une rive à l’autre la plage

Mon regard cherche sa route entre ce tapis
de poussière usé et les taches d’eau
qui m’incitent à la baignade

moi qui la dédaigne moi qui espère
un appui d’amour et de bonté

un appui de paix à l’à-pic du crépuscule

 

V

C’est toujours l’enfance recommencée
sans frères de cordées au pied de ces falaises
si bruyantes d’ailes et de cris des guêpiers écarlates

Ces pompiers de feux de brousse
au plumage de flammes se gavent
d’insectes pour éteindre les incendies

On a mal nommé ces oiseaux de paradis
eux qui dansent si bien devant leurs terriers
eux qui nous encouragent à aimer nos maisons
suspendues au-dessus du fleuve
au-dessus de l’air
au-dessus du temps

 

VI

Il y aura toujours un ciel bleu
par-delà les falaises

et une étoile précoce

et l’arbre entre eux dira sa prière

Le fleuve Chari, au Tchad. Photo : David Stanley, CC BY 2.0

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Né en 1959 au Tchad, Nimrod Bena est poète, romancier et essayiste. Il est l’auteur de plus de trente ouvrages. Parmi ses titres récents : J’aurais un royaume en bois flottés. Anthologie personnelle 1989-2016, Poésie/Gallimard, La Traversée de Montparnasse (roman, Gallimard), Le Temps liquide (récits, Gallimard), Petit Éloge de la lumière nature (poèmes, M&L/Obsidiane), prix Guillaume Apollinaire 2020 et Pavane pour le cimetière de Dembé (poèmes, Tarabuste).