Publié il y a quelques mois sur le site, le poète d’ailleurs Watson Charles publie un recueil de nouvelles aux éditions Unicité, Le Goût des ombres. On y retrouvera son écriture sensuelle, aux descriptions qui instillent de la beauté dans un quotidien difficile, voire tragique : ces nouvelles nous plongent dans la réalité souvent cruelle d’Haïti. Lutteur, cheminot, épouse abandonnée ou victime d’homophobie, c’est toute une galerie de personnages que le nouvelliste fait vivre, dans des textes concis, efficaces, brèves piqûres de réel où perce une véritable empathie. Un extrait de la nouvelle « Seuls les oiseaux dansent la nuit » :

La mère prit la main d’Adelia, puis s’avança à la barrière. Elle frappa trois coups, et attendit patiemment. Adelia resta muette, fixa sa mère qui trépignait d’angoisse et de chagrin. Elle avait le sentiment de livrer sa fille à une inconnue, à Olga, sa cousine qu’elle ne voyait qu’une fois dans l’année. Que savait-elle réellement d’Olga ? N’était-elle pas trop naïve en lui laissant sa fille ? pensait-elle. Je n’ai pas d’autre choix, chuchotait-elle. Elle voyait dans cet acte un sacrifice, comme si elle livrait sa fille en pâture. Jamais elle n’avait ressenti une douleur aussi intense et déchirante. Elle passa sa main sur les cheveux d’Adelia, tira sa robe vers le bas puis essuya ses chaussures. La mère voyait arriver sa cousine ; celle-ci descendait le parvis de sa maison et allait ouvrir la barrière. Un chien la suivait, et courait dans tous les sens. Elle avait l’air surprise de la venue d’Adelia et sa mère. Elle portait une robe légère et décolletée qui dégageait sa poitrine plantureuse. Une médaille en or brillait autour de son cou goitreux. Olga salua la mère, et Adelia l’embrassa à son tour. À l’entrée, les fleurs ornaient le jardin, et le soleil dorait la pelouse moussue. Jamais la mère n’avait imaginé qu’Olga vivait dans un tel luxe. D’où venait son argent ? se questionna-t-elle.

Florent Toniello, né en 1972 à Lyon, est le responsable de ce site, membre du comité de D’Ailleurs poésie. Il commence une première vie dans l’informatique au sein d’une société transnationale, à Bruxelles et ailleurs. En 2012, il s’installe dans la capitale grand-ducale ; sa deuxième vie l’y fait correcteur, journaliste culturel et poète. S’ensuivent huit recueils de poésie publiés au Luxembourg, en Belgique et en France, une pièce de théâtre jouée au Théâtre ouvert Luxembourg, ainsi qu’un roman et un recueil de nouvelles de science-fiction. Pour l’instant, il n’est pas question d’une troisième vie. Son site : accrocstich.es.