« nous n’habitons nulle part / ailleurs / que sur une terre en friche » : voilà énoncé, parmi les premiers poèmes du recueil, un fil rouge essentiel de celui-ci. Christophe Condello s’efforce en effet de défricher le champ du monde dans lequel nous résidons pour en faire un terrain fertile de poésie. Sa première partie, qui choisit de se concentrer sur le pronom « nous », constate avec « le poing serré / de la nostalgie » l’allure rapide à laquelle toute vie s’écoule ; les « quelques décennies / effacées / à la vitesse de l’éclair » évoquent un passé où un « tu » était encore là, dont on devine une maladie (« tes soupirs éraillés / au creux du lit »), la mort (« Montréal / cimetière de la congrégation juive Shaar Hashomayim » — où est enterré Leonard Cohen). Bien plus tard, le tout dernier texte du livre est dédié au père de l’auteur : un indice supplémentaire ? Ce qui est certain, c’est que Christophe Condello procède par images, par allusions, par petites touches. S’il conte l’existence, s’il s’interroge sur l’humain et sur la vie, il le fait avec la pudeur que lui soufflent les figures de style.
S’ensuit un détour, dans une deuxième partie, par Jérusalem. Là se dressent des « pierres / désassemblées / jusqu’au ciel », qui livrent un message au pessimisme marqué : « la vie / est une poupée russe // quand nous ouvrons la dernière / l’espérance est terminée ». Fidèle aux tropes, le poète plante un zeugme découragé — « une saison et le buis / agonisent » — avant de concéder que « l’espoir existera / après nos ombres ». Exit les facultés réparatrices pour l’âme de la ville trois fois sainte… Mais voilà qu’« après les bourrasques / nos respirations se gorgent / de vos poèmes étoilés » ! La troisième partie, en toute logique, met en valeur le « vous », qui constitue d’ailleurs son titre. On comprend alors que nous sommes là face à un itinéraire mental où alternent au rythme des pronoms joies et peines, doutes et motivations. Qui sont ces « vous / uniques / un couteau dans les yeux / des caresses plurielles / dans le dos » ? Christophe Condello, fidèle à son programme, ne le dira pas précisément. Théorème de l’inachèvement puise dans le non-dit sa vitalité, entend stimuler la lecture par l’imagination. Tout au plus pourra-t-on voir, dans l’ultime poème de cette partie : « Sous les draps / un peu moins blancs / vos seins // la chair qui tressaille // les lèvres béantes / cousues à la vie // un lait en offrande ». Mères, compagnes… Les frontières demeurent aussi floues que les mots semblent soigneusement dosés.
Des « Fleurs de givre » viennent conclure le recueil. Confirmation de notre hypothèse du cheminement mental au fil des pages, « à l’horizon / de nos incertitudes / les états d’âme boucanent ». Mais le poète veut nous surprendre. Délaissant l’ellipse, il s’enhardit, affirme que « le poids de la guerre / nous englobe tous », « jusque dans les profondeurs / de nos capitulations ». Et de citer Gaza, les vérités alternatives, le vortex de plastique, ancrant ses vers dans notre époque, comme s’il avait décidé de lever un coin du voile sur ses intentions. Apaisé aussi, « pour porter la paix / en abondance ». On devine, non ! on comprend alors que la poésie est son remède : « Nous écrirons des livres / qui en vaudront la peine ».
Christophe Condello, Théorème de l’inachèvement, Pierre Turcotte éditeur, ISBN 978-2-925437-47-5

Extraits de la troisième partie, « Vous »
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Florent Toniello, né en 1972 à Lyon, est le responsable de ce site, membre du comité de D’Ailleurs poésie. Il commence une première vie dans l’informatique au sein d’une société transnationale, à Bruxelles et ailleurs. En 2012, il s’installe dans la capitale grand-ducale ; sa deuxième vie l’y fait correcteur, journaliste culturel et poète. S’ensuivent neuf recueils de poésie publiés au Luxembourg, en Belgique et en France, une pièce de théâtre jouée au Théâtre ouvert Luxembourg, ainsi qu’un roman et un recueil de nouvelles de science-fiction. Pour l’instant, il n’est pas question d’une troisième vie. Son site : accrocstich.es.
Magnifique
Très belle mise en voix.
Merci, Florent!