« Ma frontière, ma ligne, quand l’une de mes narines touche la Belgique et l’autre la France, j’éternue sur tes boutiques d’errances, de cages à frites, de dix night-shops à la suite, de pompes à essence, de silence lyrique, de douanes pommées devenues bars à louer ou pizzeria aplatie à faire du petit fric. » Franco-belge dans l’âme, touche-à-tout artistique et organisateur de festival de poésie, Hugo Fontaine revient aux éditions Gros Textes avec ce recueil en forme de pot-pourri, tant en prose poétique qu’en vers courts et précis. Seule une indication d’année (2015) identifie la temporalité d’un des textes — qui a d’ailleurs en partie été capté en vidéo (incluse ci-contre) pour le projet Appelle-moi poésie —, mais on peut penser que le poète a pour l’occasion convoqué « [son] tendre héros [son] bic [son] carnet » pour compiler une sorte de volume de poèmes choisis qui mettent en valeur son style et sa verve. Et s’il ne l’a pas fait, la mise en valeur reste la même !

De ce maelström d’images poétiques se dégagent, en fait, des thèmes et des formes qui constituent un ou plusieurs fils rouges, peut-être lâches dans leur tissage des pages, mais bien réels. Il y a d’abord ce travail sur la langue, ce jeu permanent avec les mots pour les examiner à l’aune de l’émerveillement : « la traduction / une religion / approximative / il faut lire / dans l’autre sens / le mot radar / pour progresser / de quelques pas ». Si ici le rythme est presque saccadé et le style très direct, l’auteur sait aussi manier les mots avec un soupçon de lyrisme : « cet accent grave au centre du poème ! / ce “e” au milieu ! / et pourquoi pas deux “m” ! pomme ! » La variété de l’expression surprend, va chercher lecteurs et lectrices pour capter l’attention. Autre thème récurrent, l’amour : « Cambre-toi pour l’amour / reste debout pour trembler / jusqu’au son du gong / j’échinerai à l’horizon / d’écrire sur toi-le / peintre d’un séisme / amoureux des chevrotements. »

Du côté de la forme, on constate une certaine présence de poèmes qui pourraient s’apparenter à des aphorismes : « prendre note c’est respectueux / même si tu changes la phrase de départ / l’autre restera à l’intérieur de ton dépeçage. » Le poète n’est pas avare de conseils sur le même modèle stylistique : « Attention veuillez réduire votre vitesse de lecture, susceptibilité de voir traverser un animal, vivant. » De fait, on lira Hugo Fontaine avec lenteur, avec circonspection, pour ne pas rater les nombreuses subtilités qu’il glisse dans ses vers toujours portés vers l’avant, qui bougent, qui pulsent, qui ne veulent pas demeurer figés dans un passé poétique classique. Et ce petit livre d’une quarantaine de pages s’y prête admirablement, puisqu’on pourra le reprendre immédiatement pour goûter lesdites subtilités. Intéressant aussi de constater que, dans une poésie à ce point vivante, même « la mort sera jetable / comme on composte / son billet de train / pour aller à la guerre ». On retrouve là la variété évoquée plus haut : l’auteur est loin d’être un sempiternel optimiste des strophes et laisse percer, de temps en temps, un côté tourmenté. Il faut, on l’a dit, reprendre le livre, et à la lumière de ces vers s’en persuader.

Les contrastes du recueil finissent donc par dessiner une ligne de crête qu’on parcourt en s’émerveillant de la candeur intelligente des textes, de leur profondeur presque cachée timidement. La recette d’Hugo Fontaine ? « aucun permis de construire / éternue sur ce pauvre texte / écris ta déflagration / ne cherche pas la perfection / mais le courant d’air, chaud ». Message reçu.

Hugo Fontaine, En quittant l’image, éditions Gros Textes, ISBN 978-2-35082-581-6

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

2 × trois =

Florent Toniello, né en 1972 à Lyon, est le responsable de ce site, membre du comité de D’Ailleurs poésie. Il commence une première vie dans l’informatique au sein d’une société transnationale, à Bruxelles et ailleurs. En 2012, il s’installe dans la capitale grand-ducale ; sa deuxième vie l’y fait correcteur, journaliste culturel et poète. S’ensuivent huit recueils de poésie publiés au Luxembourg, en Belgique et en France, une pièce de théâtre jouée au Théâtre ouvert Luxembourg, ainsi qu’un roman et un recueil de nouvelles de science-fiction. Pour l’instant, il n’est pas question d’une troisième vie. Son site : accrocstich.es.