Quels sont les terrains conquis, à conquérir, voire à reconquérir, que Philippe Colmant arpente dans ce recueil, en composant « la musique / Qui remplit à ras bord / Les vers à moitié pleins » ? Ce pourraient bien être « les gravats de l’enfance », que d’aucuns déblaient pour emporter « Quelques cailloux sauvés / Dans leurs poches cousues », alors que les autres en « font leur deuil / En cassant les carreaux ». À ce stade, on aura compris que l’hexamètre règne ici en majesté, comme souvent (toujours, pourrait-on avancer) chez le poète. Il installe une petite musique nostalgique et parfois malicieuse, telle cette écume de mer qui se fait « Jarretière coquine / Pour la jambe du monde ». Temps de l’éveil, temps des émois, l’enfance présente son cortège d’amours neuves : « L’amour était cité / À comparaître encore / Au risque d’encourir / Une nouvelle peine ». Et, de fait, se dégage de Terrains conquis une atmosphère de reconquête, s’y dévoile une entreprise de réenchantement du quotidien au moyen des souvenirs pour ne pas oublier — et comme c’est aujourd’hui difficile… — « la beauté / De l’orchestre du monde ».
Le dernier poème l’avoue, qu’il faut ici reproduire dans son intégralité : « Toute sa vie on cherche / L’inestimable perle / De son huître brisée // On cherche Rosebud / Un jouet disparu / Dans le tiroir du temps // La mémoire se chauffe / Au bois sec de l’enfance ». Philippe fouille, et nous avec lui. Mais contrairement à Orson Welles dont il évoque le Citizen Kane, c’est en couleurs qu’il accompagne ses vers, avec des illustrations qui semblent matérialiser la tempête du passé qui cogne le présent. Versifier malgré les épreuves antérieures. Apprendre de ses erreurs peut-être. C’est à ce prix que la poésie surgit, et que le poète peut s’exclamer, sage qu’il est devenu : « Je suis de ce cuir / Qui se porte usé. »
Philippe Colmant, Terrains conquis, éditions Le Coudrier, ISBN 978-2-39052-064-1
Deux poèmes
Florent Toniello, né en 1972 à Lyon, est le responsable de ce site, membre du comité de D’Ailleurs poésie. Il commence une première vie dans l’informatique au sein d’une société transnationale, à Bruxelles et ailleurs. En 2012, il s’installe dans la capitale grand-ducale ; sa deuxième vie l’y fait correcteur, journaliste culturel et poète. S’ensuivent huit recueils de poésie publiés au Luxembourg, en Belgique et en France, une pièce de théâtre jouée au Théâtre ouvert Luxembourg, ainsi qu’un roman et un recueil de nouvelles de science-fiction. Pour l’instant, il n’est pas question d’une troisième vie. Son site : accrocstich.es.
0 commentaires