« Tôt le matin la draisine du poème me pompe à bras le corps » : dans ce recueil, Anna Jouy évoque souvent les petites heures du jour, celles qui remettent la machine du corps en marche après les rêves. De ses vers soigneusement ouvragés, aux images travaillées, se dégage un hymne à la nuit, laquelle « ouvre l’alchimie seule d’une lueur d’écume », tandis que le soleil ne serait qu’une « glu de lumière nous retenant au ciel ». La poétesse se passionne pour l’ombre, préfère vivre cachée, en inépuisable chercheuse de rimes : « J’apparais, je vis et retombe bien morte avec le jour. / Que se passe-t-il sous le sommeil de terre ? »

Une enveloppe silencieuse, nous annonce donc le titre. On ira puiser celle-ci loin dans les pages, dans cette « nappe amniotique, l’enveloppe silencieuse de la nudité ». Peut-être — le chroniqueur l’imagine — est-ce l’enveloppe du rêve, celui qui avec régularité rythme ici les poèmes, surgissant tel un leitmotiv à la fabrique des mots. « Puis à l’aube, je rédige les phylactères du rêve » : voilà d’où proviennent ces images souvent oniriques qu’Anna Jouy nous offre ! En tout cas, il règne comme un cloisonnement, une pesanteur sur le livre. L’écriture de celui-ci devient dès lors une façon pour son autrice de s’extirper de l’« épaisseur aveugle d’exister ». Non pas que le pessimisme soit le grand vainqueur dans ce qu’il faut bien appeler une lutte — jour contre nuit, torpeur contre énergie. En témoigne la fréquente utilisation du mot futur. Quoique : « J’ai visité le futur, les boutiques du malheur. » Inexorable et sombre, ce qui adviendra ? Pas forcément : « On ne fera plus d’enfants parmi les pierres, ce seront des montagnes à naître. » Oui, comme l’éveil après le sommeil engendre le poème, la renaissance des massifs apportera, on l’espère, de la hauteur et de l’air. « Le souffle revient, il ramone. » Mais cela sera toujours un effort…

Il est vrai que l’état actuel du monde n’incite pas à l’optimisme : « Le voisin rase la terre gratis, misérable tyrannie de quelques fleurs. Déjà elles disparaissent, me laissant seule avec une phrase si nue qu’il faudrait la cacher. » Humanité à la dérive, tu troubles les poètes au point qu’Anna Jouy semble se résigner à te fuir pour les autres êtres vivants : « Ces jours où s’en vont ensemble les grands singes et les alouettes, munis de nos ravages, par les sas du temps, je cherche la fraternité des bêtes. » Rien n’est simple lorsqu’on est atteint de la sensibilité des bardes ; la lucidité n’est pas une sinécure, et parfois « souffrir est une muraille vive ». C’est cette hypersensibilité qui donne à Une enveloppe silencieuse son allant, son authenticité. Le recueil sait, ose mettre des mots sur le malaise, comme un exorcisme. Sans pourtant céder : « Demain je nettoie le ciel ».

Anna Jouy, Une enveloppe silencieuse, éditions Alcyone, ISBN 978-2-37405-110-9

Deux extraits

par Anna Jouy (lue par Florent Toniello) | Une enveloppe silencieuse

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Florent Toniello, né en 1972 à Lyon, est le responsable de ce site, membre du comité de D’Ailleurs poésie. Il commence une première vie dans l’informatique au sein d’une société transnationale, à Bruxelles et ailleurs. En 2012, il s’installe dans la capitale grand-ducale ; sa deuxième vie l’y fait correcteur, journaliste culturel et poète. S’ensuivent huit recueils de poésie publiés au Luxembourg, en Belgique et en France, une pièce de théâtre jouée au Théâtre ouvert Luxembourg, ainsi qu’un roman et un recueil de nouvelles de science-fiction. Pour l’instant, il n’est pas question d’une troisième vie. Son site : accrocstich.es.