Je me souviens d’un autre que toi1 qui avait visité une île du Nord. En fait là-bas, c’est lui qu’il écoutait, lui qu’il comprenait et ce pays tendait vers lui le miroir de ses eaux glacées. Et c’est à ton tour de te laisser séduire par l’étrangeté des terres, les laves, les glaces et les lichens et d’écrire… C’est sans doute que là-haut, aucun poète ne s’échappe indifférent et indemne des tourbières d’Irlande ou des souffres d’un geyser d’Islande.
Qu’as-tu vu là-bas, quel vent de neige… Bien sûr, comme l’autre poète j’imagine, les fractions de tes rêves, des esquisses grises et vertes de ta psyché. Pourtant, je crois que tu t’es laissé prendre dans les filets de l’île. Et quand je te lis, j’ai ce sentiment d’écouter celui qui n’aura jamais assez de mots pour l’émerveillement. Il ne faudrait pas perdre quelque chose, là-bas tout est essentiel comme l’inconnu. Ce sont les mots d’un envoûté, un charme libérant les phrases qui ne veulent rien oublier de l’image. Le temps là-bas ne doit pas avoir la même évidence qu’ici. Il faut retenir, chaque geste, chaque approche des choses, des pierres, de cette terre. Traduire la sauvagerie des silences de l’île, la solitude par la richesse rare et choisie des mots. Peut-être parce que la lumière y est courte et grise, parce qu’il faut la main pour aider à comprendre les qualités de ce que l’on découvre. Le sol, la terre la pierre n’y sont pas arides et désertiques ; il faut exhumer la richesse et la profusion.
Tu as sans doute trouvé le pays si mystérieux et beau, que tu aurais voulu t’en absenter presque pour ne pas en gâcher les sources. D’ailleurs je ne sais même pas si tu n’y as pas simplement envoyé la poésie et sa langue de rêve visiter les lieux à ta place. Comme une femme elfe ou dragonne t’habitant, tout au long du voyage, me surprenant. C’est ainsi que j’ai interprété ces accords féminins dans ta magnifique lettre. J’ai aimé ce choix d’une sorte d’absence si accueillante et pleine.
Comment dit-on, merveilleux ! en islandais ?
En route,
Anna
Hraun, Florent Toniello, photos de Thomas Fleckenstein, Michikusa Publishing, 2025
- Werner Lambersy, le très beau Achill Island note book.↩

Anna Jouy est une auteure et poétesse suisse, membre du comité de D’Ailleurs poésie. Elle vit dans la région de Fribourg. Outre travailler à différentes mises en scène de spectacles musicaux et à la publication de quelques romans, elle aime prendre le temps et aborder le silence de la poésie. Éditée pour la première fois par Décharge en 2008 avec Ciseaux à puits, puis par les éditions de l’Atlantique, les éditions Rhubarbe et Alcyone ainsi que par différentes revues. Son site : jouyanna.ch.
0 commentaires