La guerre continue au Proche-Orient… Je vais chercher des poèmes écrits par des Israéliens. En attendant, en voici quelques-uns écrits par des Palestiniens. Je n’ai pas encore pu me procurer l’Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui, traduction d’Abdellatif Laâbi, éditée par Points, 2022. Mais je suis content de retrouver dans mes fichiers quelques poèmes de Samih al-Qasim et de Ghassan Zaqtan.
Samih al-Qasim (1939-2014) est un poète palestinien bien connu qui a publié de nombreux livres. Sa famille a choisi de rester en Palestine en 1948, date de la guerre à l’issue de laquelle plus de la moitié des Palestiniens sont partis en exil ou ont été chassés par le gouvernement israélien. Selon le poète, 1948 est la vraie date de sa naissance : « Les premières images que je peux me rappeler sont celles de 1948. Mes pensées et mes images jaillissent de 1948. » La plupart de ses poèmes ont pour sujet la différence entre la vie avant et la vie après 1948, et la lutte pour libérer les pays arabes de l’influence étrangère. Sa liberté de parole lui a valu de nombreux séjours en prison. Quelle force et quelle simplicité de moyens dans ces deux poèmes !
1
De l’étroite fenêtre de ma petite cellule,
je vois les arbres qui me sourient
et les toits où sont rassemblés les membres de ma famille.
Et les fenêtres qui pleurent et prient pour moi.
De l’étroite fenêtre de ma petite cellule,
je peux voir votre grande cellule !
2
Le jour où je serai tué
mon tueur trouvera
des billets dans ma poche.
Un pour la paix,
un autre pour les champs et la pluie,
et un autre
pour la conscience de l’humanité.
Je vous en prie — surtout ne les gaspillez pas.
Je vous en prie, vous qui me tuez : allez-y.

Samih al-Qasim en lecture au Círculo de Bellas Artes de Madrid. Photo : Anarbati
Guide
Il nous indiquait du doigt…
par ici.
Et il disparut
dans les décombres des maisons
après l’explosion
de ses doigts dans l’espace entre les murs
indiquant toujours :
par ici.
Oreiller
Reste-t-il assez de temps
pour que je lui dise
Bonsoir Mère
Je suis revenu
avec une balle dans le cœur
c’est mon oreiller
et je veux m’allonger ?
et Mère
si la guerre frappe à la porte
dis qu’il se repose.
De son côté, le site En attendant Nadeau a signalé les traductions en anglais de Sara Roy (Harvard Center for Middle Eastern Studies) rassemblées dans un opuscule intitulé : This is Gaza: Literary Texts Written under the Israeli Bombardment of Gaza. Voici quelques poèmes, sans commentaire.
Beesam Abdel Raheem
Aujourd’hui est hier
Et hier coule d’une vieille blessure.
Je ne veux pas être écrivain.
Je ne rêve de rien pour demain
Et tout ce qui me tient c’est ma foi.
Aujourd’hui, 23 octobre 2023, une heure de l’après-midi.
Comment nos jours sont-ils devenus si terrifiants ?
Mon Dieu, d’habitude, nous avons peur de voir, à présent
Nous nous trouvons sans jour ni nuit.
Ah, mon Dieu, ils nous ont volé le temps.
Ohmar Hussein
La guerre était assise
puis elle s’est levée, timide les premiers jours,
cachant son visage et son souffle.
Le premier mort portera un nom et un numéro
et peut-être indiquera-t-on la couleur de ses souliers
Quelle chance, ce sera un martyr.
Alors nous passons, et la mort nous frappe,
sans nom et sans histoire.
La guerre s’est levée pour un combat maudit,
non, elle ne dormait pas, elle faisait semblant.
Di Haidar al-Ghazali
Nos rêves sont si modestes.
Je veux que tous vous assistiez à mes funérailles
et jetiez des fleurs sur mon visage
car je veux mon visage.
Je le veux
Et je n’aime pas attendre
Je veux que ma chambre
assez grande pour abriter mes vastes rêves
ne m’étouffe pas.
Je n’aime pas attendre la mort sous les décombres.
Car, je le redis, je n’aime pas attendre.
Et avant cette mort,
je veux être un être humain
une dernière fois
je veux boire le nectar des mûres dans le calme de la nuit
et venir simplement à toi,
ô Dieu
mon Dieu.
Youssef al-Quidra
Je pourrais écrire un poème avec du sang.
Avec des larmes, avec la poussière qui remplit mes poumons
Avec les dents des pelleteuses, avec les morceaux de corps,
Avec les immeubles en ruine, avec la sueur des sauveteurs,
Avec les gémissements des femmes et des enfants
Avec les sirènes des ambulances
Avec le cadavre d’un arbre que j’aime
Avec tous ces visages examinant les êtres aimés qu’ils ont perdus
Avec la voix de l’enfant sous les décombres qui crie : « Je suis vivant »
Je pourrais écrire un poème
Avec l’assourdissante amertume, le silence nu,
la neutralité lugubre, la paralysie éhontée,
la prostration absolue devant l’Amérique.
Mais à quoi servirait ce poème ?
1 Commentaire
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Christian Garaud est né à Poitiers en 1937. Il est membre du comité de D’Ailleurs poésie. Après avoir enseigné le français en Irlande, en Suède et au Canada, il est devenu professeur à l’université du Massachusetts à Amherst, où il s’est tout particulièrement intéressé à Victor Segalen, Jean Paulhan, Annie Ernaux et au problème du stéréotype. Il réside maintenant à Washington. Depuis 2004, il écrit poèmes, textes et traductions dans une dizaine de revues en France et aux États-Unis. Il a publié en français entre autres aux éditions Décharge/Gros Textes, des Vanneaux, ou La Porte. Aux États-Unis, il fait aussi partie d’un groupe d’une cinquantaine de membres faisant circuler des poèmes inédits en anglais sur la toile tous les quinze jours.
que ces poèmes sont poignants! ils arrachent le cœur comme des bouts de pain pour les affamés…
merci de soutenir la poésie palestinienne.