J’ai fait la connaissance de Rose Ausländer (1901-1988) en flânant sur le site Poezibao. Outre les poèmes ci-dessous, extraits de Regenwörter (1976-1986), Reclam, 1994, on y trouve un dossier sur l’auteure. Les poèmes y sont présentés en allemand et en français. La traduction est de Jean-René Lassalle. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la vie de Rose Ausländer a été mouvementée. Poezibao souligne à juste titre qu’« ausländer » signifie « étrangère »… Née à Czernowitz, ville qui fait aujourd’hui partie de l’Ukraine après avoir fait partie de l’Empire russe, puis du royaume de Roumanie, elle est partie en 1921 pour les États-Unis où elle a commencé à écrire des poèmes en allemand et en anglais. Mais elle a été amenée à partager son temps entre les États-Unis et sa ville natale, où elle s’occupait de sa mère et où elle se trouva lors de l’invasion allemande. De 1941 à 1943, d’origine juive, elle n’a pu échapper aux travaux forcés imposés par l’occupant. C’est dans le ghetto de sa ville natale qu’elle fit la connaissance de Paul Celan, qu’elle revit plus tard à Paris. En 1943-1944, elle a été réduite à une vie clandestine pour ne pas être envoyée dans un camp de concentration. Puis sont arrivés les soldats de la Russie soviétique. Elle partit de nouveau à New York où elle gagna sa vie en servant d’interprète pour une société de transport tout en continuant à écrire des poèmes en anglais et en allemand. C’est à New York qu’elle est devenue amie avec Marianne Moore, poète américaine bien connue. En 1967, elle décida de rentrer en Europe et s’installa à Düsseldorf, où elle resta jusqu’à la fin de sa vie. J’espère que vous aimerez comme moi ces poèmes denses évoquant une façon originale de percevoir le monde concret dans toute sa richesse.

Sibérien
 
Testé la force dans les courbes
le vent possède
des muscles durs
 
Derrière le souffle
étincelles effleurant Laponie
 
Corneilles
neige au bec
ombres
de lapis-lazuli
 
Emmitouflée en ours
mais les abeilles
envolées
trace de miel dans la ruche
sous givre
 
Au village crayeux
dépassant l’étang gelé
le traîneau postal apporte
une odeur de loup
de Sibérie
 
Mots de pluie
 
Les mots de pluie
m’inondent
 
Absorbée par les gouttes
immergée dans les nuages
je pleus
vers la béante
bouche écarlate
du pavot
 
(sans titre ?)
 
Néanmoins les roses
en hauteur d’été
lépidoptères
ailes de mouettes
dessus la rivière
 
Non
je n’oublie pas
les années brûlées au fer
je n’oublie pas
que des bottes
ont piétiné l’arc-en-ciel
qu’elles se sont armées
pour nous transmuer en
roses de feu papillons de feu ailes de feu
 
néanmoins en hauteur d’été
le parfum
la double ailette dessus le fleuve
l’or sur ma peau
 
et les roses mortes
suite à la nuit
 
Dent-de-lion
 
Astral-délicate sphère
 
permets-moi
pour l’improbable
durée d’un instant
 
avant que le vent
ne te désouffle
 
laisse-moi
de ton arithmétique
miracle
louanger

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Christian Garaud

Christian Garaud est né à Poitiers en 1937. Il est membre du comité de D’Ailleurs poésie. Après avoir enseigné le français en Irlande, en Suède et au Canada, il est devenu professeur à l’université du Massachusetts à Amherst, où il s’est tout particulièrement intéressé à Victor Segalen, Jean Paulhan, Annie Ernaux et au problème du stéréotype. Il réside maintenant à Washington. Depuis 2004, il écrit poèmes, textes et traductions dans une dizaine de revues en France et aux États-Unis. Il a publié en français entre autres aux éditions Décharge/Gros Textes, des Vanneaux, ou La Porte. Aux États-Unis, il fait aussi partie d’un groupe d’une cinquantaine de membres faisant circuler des poèmes inédits en anglais sur la toile tous les quinze jours.