En cherchant sur la Toile des poèmes israéliens concernant la guerre dans la bande de Gaza, je suis tombé sur celui de Rachel Goldberg-Polin. Cette femme est une enseignante israélo-américaine habitant Jérusalem dont le fils, Hersh, a été pris en otage par le Hamas le 7 octobre 2023. Le 24 avril 2024, il est apparu dans une vidéo. Ayant été blessé au moment de son enlèvement, il a un moignon à la place de sa main gauche. Sa mère a décidé de dire tout haut son angoisse, mais aussi son refus de désespérer, et de partager ses sentiments avec une Palestinienne de sa connaissance dans un poème intitulé « Une petite graine ». Elle précise que ce poème est écrit « pour une femme de Gaza. Elle sait qui elle est ».
Une berceuse dit que ta mère pleurera mille larmes avant que tu deviennes un homme.
J’ai pleuré un million de larmes au cours des 67 derniers jours.
Nous en avons tous pleuré.
Et je sais que là-bas
il y a une autre femme
qui me ressemble
parce que nous sommes toutes très semblables
et elle a également pleuré.
Toutes ces larmes, une mer de larmes,
elles ont toutes le même goût.
Pouvons-nous les prendre
les recueillir,
enlever le sel
et les verser sur notre désert de désespoir
et planter une petite graine.
Une graine enveloppée de peur,
de traumatisme, de douleur,
de guerre et d’espoir
et voir ce qui pousse ?
Se pourrait-il
que cette femme si semblable à moi
qu’elle et moi pourrions être assises ensemble dans 50 ans
riant sans dents
parce que nous avons bu tant de thé sucré ensemble
et maintenant nous sommes très vieilles
et nos visages sont plissés
comme des sacs en papier usés.
Et nos fils ont leurs propres petits-enfants
et nos fils ont une longue vie
Il manque un bras à l’un d’entre eux
Mais qui a besoin de deux bras de toute façon ?
Tout cela n’est-il qu’un rêve ?
Un fantasme ? Une prophétie ?
Une petite graine.
Inutile de dire que ce poème n’a pas l’aval des chefs de l’armée israélienne, qui, eux (selon le quotidien Ha’Aretz), distribuent à leurs soldats des textes du genre « Ô Gaza, nous mettrons le feu à tes murs et nous détruirons tes palais. […] Et si, dans le récit des souffrances de notre peuple, nous devions ajouter un nouveau paragraphe, tu éprouveras notre vengeance et paieras de chaque dent et de chaque cheveu. […] Nous briserons la nuque de chacun de tes enfants sur nos rochers. […] Nous noierons ton mal dans ton propre sang. »
Christian Garaud est né à Poitiers en 1937. Il est membre du comité de D’Ailleurs poésie. Après avoir enseigné le français en Irlande, en Suède et au Canada, il est devenu professeur à l’université du Massachusetts à Amherst, où il s’est tout particulièrement intéressé à Victor Segalen, Jean Paulhan, Annie Ernaux et au problème du stéréotype. Il réside maintenant à Washington. Depuis 2004, il écrit poèmes, textes et traductions dans une dizaine de revues en France et aux États-Unis. Il a publié en français entre autres aux éditions Décharge/Gros Textes, des Vanneaux, ou La Porte. Aux États-Unis, il fait aussi partie d’un groupe d’une cinquantaine de membres faisant circuler des poèmes inédits en anglais sur la toile tous les quinze jours.
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